Cargill: La Pire Société Du Monde

Avant-Propos: Membre Du Congrés Henry A. Waxman

Cargill est la plus grande entreprise privée des États-Unis, plus grande encore que les industries de notoriétés Koch. Son empreinte s'étend à travers le monde. Mais de là à la plus horrible entreprise du monde ? Nous reconnaissons qu'il s'agit ici d'une affirmation audacieuse. Hélas, de nombreuses entreprises pourraient se disputer cet honneur douteux. Mais ce rapport fournit des preuves exhaustives et convaincantes à l'appui.

Les individus qui ont été malades où sont morts en mangeant de la viande de Cargill contaminée, les enfants travailleurs qui cultivent le cacao pour le chocolat que Cargill vend mondialement, les habitants du Midwest qui boivent de l'eau polluée par Cargill, les peuples autochtones déplacés par de vastes déforestation pour faire place à l'alimentation animale de Cargill et les consommateurs ordinaires qui ont payé plus pour mettre de la nourriture sur leur table de dîner en raison de la malversation financière Cargill - tous ont ressenti l'impact de ce géant agroalimentaire. Leur vie est pire pour avoir été en contact avec Cargill.

Au cours de mes 40 années de carrière au Congrès, je me suis pris aux diverses entreprises qui se livraient à des pratiques abusives. J'ai constaté de visu l'impact néfaste d'entreprises qui n'apportaient pas leur éthique au travail. Mais Cargill se distingue.

Contrairement aux industries du pétrole et du tabac, par exemple, les mauvaises pratiques décrites ici ne sont pas inhérentes aux produits vendus par Cargill elles sont en fait tout à fait évitables. Par exemple, le plus gros impact négatif de Cargill sur le monde naturel est peut-être son rôle dans la destruction des dernières forêts et prairies intactes du monde.

Il y a plus d'un milliard d'acres de terres précédemment dégradées où les cultures peuvent être cultivées sans mettre davantage en péril des écosystèmes naturels et cela sans frais supplémentaires. De même, d’autres entreprises cultivent des aliments pour animaux à grande échelle sans les mêmes niveaux d’eau ou de pollution climatique.

De l'huile de palme en Asie du Sud-Est à l'agriculture ici aux États-Unis, Cargill a participé aux efforts de l'industrie pour s'améliorer. Pour remédier à ces lacunes, au cours des cinq dernières années, l'équipe de Mighty Earth a engagé des discussions approfondies et de haut niveau avec Cargill. Notre équipe a fait l'éloge de l'entreprise en 2014 lorsque le P.D.G David MacLennan s'est engagé à mettre fin à la déforestation dans l'ensemble de l'entreprise d'ici 2020 et plus tard quand elle s'est engagée à cesser de s'approvisionner en cacao provenant des parcs nationaux.

En janvier, nous avons partagé une ébauche de ce rapport avec Cargill. Quelques jours avant sa sortie prévue, M. MacLennan nous a appelés pour nous demander quelques semaines de plus pour examiner nos conclusions et, plus signifiant encore, nos recommandations de changement. Nous avons accepté de donner une chance par offrir un délai à Cargill. Deux semaines plus tard, il s'engageait à ce que Cargill adopte des politiques visant à prévenir la destruction de l'habitat autochtone et à faire personnellement pression sur d'autres chefs de la direction de l'industrie pour qu'ils agissent en accord.

Malheureusement, ces derniers mois n'ont fait que confirmer l'incapacité de l'entreprise à réagir efficacement et celle de M. MacLennan d’apporter des changements réels.

Quelques jours après l’engagement, l’adjoint de M. MacLennan a publiquement mis en doute l’utilité de politiques strictes visant à protéger l’habitat naturel. Il a fallu des mois à Cargill pour mener des discussions constructives avec d’autres sociétés ayant déjà adopté des politiques de développement durable et rigoureuses ou pour résoudre des problèmes relativement simples dans leur chaîne d’approvisionnement en huile de palme que d’autres entreprises avaient déjà abordé et résolu. Entre-temps, nous avons continué de recevoir sur Cargill des données décrites dans ce rapport soulignant les problèmes graves et persistants envers la déforestation et le travail des enfants.

Malgré les défis, nous avons suspendu la campagne pendant cinq mois dans l’espoir que les discussions donneraient à Cargill une chance de changer. Malheureusement, les engagements de David MacLennan n’ont pas semblé se traduire en action significative de la part des autres membres de la société. Nous avons été particulièrement déçus lorsque Cargill a publié un « plan d'action pour le soja » permettant aux fournisseurs de poursuivre la déforestation et plus récemment lorsqu'il a envoyé une lettre à ses fournisseurs s'opposant à la diffusion des politiques de conservation des forêts au Cerrado brésilien. Ces actions sont une réfutation directe des engagements de M. MacLennan. Nous avons réussi à travailler pour améliorer les pratiques en matière d’environnement et de droits de la personne de dizaines d’entreprises, mais nous n’avons jamais rencontré autant de difficultés avec une entreprise concernant l’exécution de ses engagements pris à haut niveau.

Bien que M. MacLennan semble vouloir faire ce qu'il faut, il semble incapable de décider entre ceux qui croient que Cargill puisse faire mieux et ceux qui veulent faire fonctionner les bulldozers. Malheureusement, parce que le statu quo est la déforestation, le travail des enfants et la pollution, la tergiversation de Cargill entraîne et soutien une catastrophe environnementale et des droits de la personne. De même, puisque la portée de Cargill est très large, elle a pour conséquence d’entrainer d’autres entreprises à participer et à promouvoir la destruction de l’environnement et la violation des droits de la personne.

Le géant des supermarchés, Ahold Delhaize (propriétaire de Giant, Stop and Shop, Hannaford, Food Lion et d'autres marques) peut vouloir déclarer fournir une viande responsable, mais il ne peut pas le faire tant qu'il est associé à Cargill pour fournir leurs viandes de marque de magasin. La « cible climatique basée sur la science » vantée par McDonald ‘s n'a pas de sens tant que Cargill, le fabricant de leurs pépites de poulet et Big Macs, entraîne une pollution climatique à grande échelle.

Ces entreprises — et plus d'une centaine d'autres — ont fait appel à plusieurs reprises à Cargill de changer. Mais Cargill a défié ces appels. Cependant, si ces entreprises veulent respecter leurs politiques en matière d'environnement et de droits de la personne, elles doivent aller au-delà des encouragements polis et transférer leurs achats vers des entreprises plus responsables.

Ce n’est qu’en tenant Cargill et ses clients publiquement responsables que nous pourrons les forcer à changer. Les actions concertées menées par les citoyens et les entreprises de consommation ont permis d’énormes progrès dans de nombreux secteurs de l’industrie alimentaire et agricole. Il est maintenant temps que la société qui prétend devenir un chef de file de ce secteur agit enfin de la sorte.

Henry Waxman

Ancien président du Congrès; Mighty Earth

Nous le reconnaissons, cette affirmation est audacieuse. Mais, quand il faut s’attaquer aux problèmes les plus importants auxquels notre monde est confronté, comme la destruction de l’environnement, la pollution de l’air et de l’eau, le réchauffement de la planète, le déplacement de populations autochtones, le travail des enfants et la pauvreté mondiale, la société Cargill non seulement se retrouve systématiquement à la dernière place, mais elle est un moteur important de ces problèmes, à une échelle qui éclipse ses plus proches rivaux.

Que Cargill fasse des promesses grandioses et ne les tienne pas n’a rien de surprenant.

Rien que pour cette année, Cargill a vu son adhésion à la chambre du commerce suspendue par la Chambre du commerce de Chicago et par la U.S. Commodity Exchange Authority, peu de temps après son incorporation, pour avoir distribué 66 millions de tonnes de viande de bœuf contaminé à des supermarchés.

— Cargill traîne derrière elle un lourd passé de duplicité, de tromperie et de destruction. Des dizaines d’exemples ont émaillé ces deux dernières décennies.

Une Longue Série de Mauvais Comportements:

Des Tromperies et des Destructions Récurrentes

Aujourd’hui, une entreprise privée pourrait détenir à elle seule plus de pouvoir pour détruire ou protéger le climat, l’eau, la sécurité alimentaire, la santé publique et les droits de la personne dans le monde que toutes les entreprises de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une entreprise pétrolière ou charbonnière ni des suspects habituels. Il s’agit de Cargill, le géant de l’agro-industrie basé dans le Minnesota.

Cargill est la plus grande entreprise privée des États-Unis. Ses revenus annuels devancent de plusieurs milliards de dollars ceux des frères Koch. C’est une entreprise mastodonte au cœur du système mondial de l’agriculture industrielle, un système qu’elle a conçu pour transformer de vastes étendues de la planète en monocultures dépendantes de la chimie pour produire de la viande, de l’huile de palme et du chocolat bon marché.

À ce jour, en 2019, les contraintes politiques qui auraient pu limiter son pouvoir ont pratiquement disparu, et ceci en raison de la montée en puissance de présidents extrémistes et anti-écologistes au Brésil et aux États-Unis, qui sont respectivement les principaux pays producteurs et consommateurs des marchandises Cargill. Dans d’autres parties du monde, comme en Indonésie ou en Afrique de l’Ouest, Cargill tire encore parti de mauvaises gouvernances et de gouvernements corrompus ou fragiles pour acheter des quantités considérables d’huile de palme, de cacao et d’autres matières premières qui jusqu’à très récemment étaient produites avec peu de précautions environnementales et des bas salaires.

Cargill a déjà démontré sa capacité à faire le bien comme le mal sur une vaste échelle. Mais les mesures de protection de l’environnement et le leadership des gouvernements américain et brésilien qui autrefois avaient pu maîtriser ses pires instincts, battent maintenant en retraite. Comme Cargill est une entreprise privée, elle n’a aucun compte à rendre envers les actionnaires publics quant à sa responsabilité et à sa citoyenneté.

Dans le monde entier, Cargill est à l’origine de nombreux problèmes, à une échelle qui éclipse ses plus proches rivaux.

Au cours de son histoire, Cargill a fait preuve d’une récurrence inquiétante de tromperies et de destructions. Comme le détaille ce rapport, ses mauvaises pratiques vont de la violation d’embargos commerciaux et de la fixation des prix, à la non-observance des codes sanitaires, en passant par la création de marchés pour des biens issus du travail des enfants et du travail forcé. Sous pression, Cargill a su réformer ses pratiques dans de nombreux domaines — ce qui montre qu’elle peut changer quand elle le souhaite. Mais en dépit de ses prétentions de leader, elle occupe généralement la dernière place. Elle est restée à la traîne dans de nombreux secteurs d’activité, loin derrière ses pairs comme Louis Dreyfus et Wilmar.

Peu de temps après s’être constituée en société sous son nom actuel, il y a 80 ans, Cargill a été expulsée de la plus grande bourse de contrats à termes et d’options du pays pour avoir tenté d’accaparer le marché du maïs. Des décennies plus tard, en 2017, Cargill a été condamnée à verser une amende de 10 millions de dollars par la Commodity Futures Trading Commission pour avoir mal déclaré, délibérément et pendant des années, ses valeurs marchandes — jusqu’à 90 % — pour flouer le gouvernement et ses partenaires commerciaux1. Au moment de mettre ce rapport sous presse, David Dines, le cadre qui a créé et dirigé au sein de Cargill le département responsable de ces violations, a été promu directeur des services financiers2. En 2018, Cargill a vendu à des supermarchés plus de 78 tonnes de viande de bœuf contaminée3,4. Entre temps, l’entreprise a saccagé la planète, floué ses travailleurs et cultivateurs, tout en générant suffisamment de richesses pour compter plus de milliardaires qu’aucune autre famille au monde5.
À bien des égards, le secteur privé exerce plus d’influence sur le sort du monde que la plupart des gouvernements. Des sociétés comme Cargill — mais aussi Ahold Delhaize (Stop & Shop, Giant, Food Lion et Hannafords), McDonalds, et Sysco qui vendent leurs produits aux consommateurs — sont à l’origine de nombreuses catastrophes environnementales qui frappent le monde.

Un Danger Manifeste et Immédiat

Nulle part ailleurs, cette récurrence de tromperies et de destructions de Cargill n’est aussi visible que dans sa participation à la destruction des forêts du monde, ces « poumons de la planète ». Malgré des promesses répétées et très médiatisées du contraire, du Brésil à la Bolivie, du Paraguay à l’Indonésie en passant par le Ghana et la Côte d’Ivoire, Cargill n’a cessé de détruire au bulldozer autant d’écosystèmes anciens que possible dans les limites de la loi, mais aussi, et hélas trop souvent, hors de celles-ci.

Avec l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro, qui a promis d’ouvrir des terres indigènes et d’autres aires protégées à une exploitation sans restriction, Cargill représente un danger manifeste et immédiat pour certains des écosystèmes les plus vitaux de la planète. Comme n’importe quel autre pays, le Brésil a le droit de choisir ses dirigeants. Mais en tant que consommateurs des échanges mondiaux, les clients de Cargill ont également le droit d’exiger des politiques d’entreprises qui protègent l’environnement et les droits de la personne. Ces clients doivent agir avec urgence et détermination.

Si les principaux clients de Cargill — y compris Ahold Delhaize, McDonalds, Walmart, Sysco et d’autres — prennent au sérieux leurs engagements en faveur du développement durable et des droits de la personne, ils couperont les ponts avec Cargill. Dans le cas contraire, ils risqueront de se rendre complices d’une des plus grandes séries de crimes environnementaux et contre les droits de la personne de l’histoire.

Foto: Jim Wickens

Foto: Jim Wickens

Brésil: un Glorieux Héritage en Péril

Jusqu’à présent, le Brésil a été un chef de file dans la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis le milieu des années 2000, le pays s’est lancé dans des programmes ambitieux pour réduire la déforestation en Amazonie. Il l’a efficacement réduite de deux tiers par rapport à son rythme de croisière, tout en doublant sa production agricole grâce à la concentration de son expansion sur des terres dégradées.

Mais l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence en 2018 pourrait mettre un terme à ce digne héritage. Bolsonaro a lancé un appel à la violence à l’encontre la communauté gay et lesbienne du Brésil, et souhaité l’emprisonnement ou l’expulsion de tous les opposants politiques. Il a loué la dictature militaire du Brésil qui a précédé la démocratie actuelle. Enfin, partie intégrante de son programme extrémiste, il a promis d’encourager l’exploitation forestière, l’agriculture, et l’extraction minière dans l’ensemble des forêts tropicales, savanes et autres précieux écosystèmes du Brésil.

D’après le chercheur brésilien Paulo Artaxo, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), interrogé dans Science Magazine, « nous pourrions faire face, dans les quatre années à venir, à une catastrophe environnementale inédite7 ».

Pour Bolsonaro, le Brésil possède trop d’aires protégées qui « entravent le développement économique », et les politiques de lutte contre la déforestation sont allées beaucoup trop loin. Il a annoncé aux sociétés agro-industrielles qu’il reviendrait sur les lois en vigueur et donnerait carte blanche à l’industrie8. Il s’est aussi engagé à anéantir l’Institut de protection de l’environnement brésilien (Ibama), à lever les restrictions sur les défrichages industrialisés en Amazonie et à développer une autoroute traversant la forêt tropicale9. Depuis longtemps, Bolsonaro est en faveur de l’ouverture d’aires indigènes protégées à des fins agricoles et commerciales10, et il a promis qu’une fois président, il « ne céderait pas un pouce de terrain aux réserves indigènes11 ».

« Je pense que nous nous dirigeons vers une période sombre de l’histoire du Brésil. N’y allons pas par quatre chemins : Bolsonaro est la pire chose qui puisse arriver à l’environnement. »
Paulo Artaxo, the University of Sao Paulo Science magazine

D’après l’ancien ministre de l’Environnement, Edson Duarte, « l’intensification de la déforestation sera immédiate. Je crains un phénomène de ruée vers l’or de la part de ceux qui se battront pour arriver les premiers. Ils savent pertinemment que s’ils occupent des terres illégalement, les autorités seront complaisantes et les leur accorderont. Ils peuvent être sûrs que personne ne leur causera d’ennuis13, 14, 15 ».

De nombreux Brésiliens ne soutiennent pas cette partie du programme de Bolsonaro ; une coalition de plus de 180 entreprises et de représentants de la société civile, appelée Coalizão Brasil Clima, Florestas e Agricultura, a courageusement obtenu de la nouvelle administration qu’elle ne se retirerait pas des Accords de Paris sur le climat et qu’elle ne démantèlerait pas le ministère de l’Environnement16.

Cargill a déclaré soutenir cette coalition17. Les clients de Cargill doivent s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une ses nombreuses vaines promesses.

Tu Es Le Dernier, Dave

Le PDG de Cargill, David MacLennan s’est positionné comme un leader d’opinion en matière de développement durable.

David MacLennan au Sommet des Nations unies sur le climat en 2014

David MacLennan au Sommet des Nations unies sur le climat en 2014

La Destruction de L'environment" Un Business Juteux

En 2014, au Sommet des Nations unies sur le climat, le PDG de Cargill, David MacLennan s’est tenu aux côtés du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon pour s’engager à agir contre le réchauffement climatique en éliminant la déforestation de sa chaîne d’approvisionnement.

« Je suis fier d’annoncer aujourd’hui que Cargill prendra des mesures concrètes pour protéger les forêts dans l’ensemble de ses chaînes d’approvisionnement agricoles et dans le monde entier, » a déclaré MacLennan. Avec 150 pays, entreprises, et organisations de la société civile, il a annoncé son soutien à la Déclaration de New York qui fixe un objectif drastique de réduction de la déforestation mondiale.

En raison de la taille de Cargill et de l’impact de ses activités, la signature de cet engagement a été saluée comme ayant la capacité de protéger les communautés du monde entier et de réduire considérablement la déforestation et le réchauffement climatique.

Mais après la fin du sommet, et des applaudissements, Cargill a mis ces promesses aux oubliettes, pour les piétiner ensuite.
Depuis la signature de cette Déclaration, Cargill n’a cessé d’entraîner des destructions de paysages immaculés. Une des pires actrices de la scène mondiale, elle représente une menace très importante pour les écosystèmes indigènes de la planète.

Pendant des années, Mighty Earth, d’autres organisations de préservation de l’environnement, et les clients les plus importants de Cargill ont sommé l’entreprise de tenir ses promesses, mais en vain. Aujourd’hui, cinq ans après l’engagement de Cargill, et à seulement un an de la fin de l’objectif fixé pour mettre fin à la déforestation dans sa chaîne d’approvisionnement, une foire d’empoigne anti-environnement au Brésil commence à se dessiner. Il est grand temps que les clients de Cargill arrêtent de l’aider et de l’encourager en achetant et en vendant ses produits.

En signant la « Déclaration de New York sur les forêts », MacLennan et Cargill se sont engagés à « éliminer la déforestation associée à la production des produits agricoles tels que l’huile de palme, le soja, le papier et la viande de bœuf au plus tard en 2020. »

Cargill et le Soja

Plus d’un million de kilomètres carrés de la planète (soit l’équivalent de la surface de la France, de l’Allemagne, de la Belgique et des Pays-Bas réunis) ont été défrichés de leur végétation naturelle pour laisser place au soja, un des principaux ingrédients entrant dans l’alimentation du bétail. Plus des trois quarts du soja cultivé dans le monde sont utilisés pour nourrir le bétail18.

La déforestation associée à la production de soja accélère le réchauffement climatique en raison du carbone relâché dans l’atmosphère. Elle détruit aussi les habitats de la faune sauvage et perturbe les cycles hydrologiques en limitant la disponibilité en eau.

Mighty Earth a retrouvé la trace de Cargill dans ces zones pionnières d’Amérique du Sud. Dans notre rapport de 2017, « Les derniers mystères de la viande », nous avons mené une enquête de terrain dans 28 lieux de production de soja au Brésil et en Bolivie et avons pu démontrer que Cargill était un des deux principaux clients d’opérations de défrichement industriel de forêts.

« L’ampleur des destructions est stupéfiante. Nous avons filmé et photographié des bulldozers en pleine action, défrichant de vastes zones de forêts intactes et de prairies, mais aussi de gigantesques incendies qui rejetaient leur fumée dans les airs. »
Anahita Yousefi, directrice des politiques pour Mighty Earth

Notre enquête a montré que non seulement Cargill a participé à la création d’un marché pour la déforestation associée au soja, mais qu’elle a aussi financé directement des opérations de défrichement au cœur de la forêt vierge, construit des silos à grain et des routes, puis acheté et expédié des céréales vers les États-Unis, la Chine et l’Europe destinées à alimenter le bétail.

Notre rapport a été relayé dans la presse du monde entier, y compris dans le New York Times, le Guardian, CTV, Le Monde et d’autres titres. À la suite de quoi, d’importantes sociétés de biens de consommation, des investisseurs et des gouvernements ont exhorté Cargill à respecter ses engagements et mettre fin à la déforestation en Amérique latine.

Quelques mois plus tard, nous avons contrôlé par satellite certains des sites enquêtés. Étant donné la vigilance dont Cargill a fait l’objet, et ses engagements auprès de ses clients, nous avons supposé que la société aurait redoublé d’efforts pour faire cesser la déforestation, du moins sur ces sites.

Loin de là. Nous avons au contraire surpris Cargill en train de défricher des endroits que nous avions visités, et cela malgré la vigilance exercée.

Les populations autochtones qui dépendent des forêts pour leur survie ont vu leurs terres empiétées par les plantations de soja. Elles ont été chassées de leurs terres natales et ont connu une forte progression des cas de cancer, de malformations congénitales, de fausses couches, et d’autres maladies liées aux pesticides et aux herbicides généralement pulvérisés directement par avion sur les cultures. L’histoire de Cargill avec le soja montre que cette déforestation n’est pas nécessaire et qu’elle est surtout évitable. Là où Cargill s’est vue obligée de mettre fin à ces destructions, l’entreprise a réussi à protéger les écosystèmes tout en accroissant ses activités.

En 2006, à la suite d’une importante campagne menée par Greenpeace et d’autres organisations, Cargill et son client McDonald’s ont accepté un moratoire sur la déforestation associée à la production de soja en Amazonie brésilienne. Au cours des deux années précédant cet accord, près d’un tiers des nouveaux champs de soja d’Amazonie brésilienne avaient été plantés sur des forêts détruites. À la suite de cet accord, leur nombre s’est effondré à près de 1 %.

Pourtant, pendant ce temps, le secteur du soja n’a cessé de progresser à une cadence impressionnante. Alors que la déforestation s’effondrait, les surfaces dédiées à la culture du soja en Amazonie brésilienne ont plus que triplé.

Une expansion sans déforestation est donc possible. Quand elles y ont été obligées, Cargill et d’autres entreprises ont concentré leurs efforts sur des terres déjà défrichées et des pratiques agricoles plus efficaces.

Si une portion seulement de ces terres était aménagée pour l’agriculture, elle permettrait à la fois l’expansion de l’agriculture et la restauration écologique des écosystèmes19.

De nombreux clients de Cargill, dont Unilever, Tesco, McDonald’s, Carrefour, Kellogg’s, Sainsbury’s, Mars, Petcare, Ahold Delhaize, Dunkin’ Brands, et Nestlé ont appelé à étendre ce succès en Amazonie brésilienne à d’autres écosystèmes20,21. Louis Dreyfus et Wilmar, les concurrents de Cargill, ont également plaidé en faveur de cette expansion. Mais Cargill a refusé, et a préféré user de son influence auprès d’organisations professionnelles pour empêcher ses concurrents plus responsables d’étendre ces protections.

Lumiéres Sur le Cerrado

S’il a porté ses fruits, le moratoire sur la déforestation associée à la production du soja, ne s’applique hélas qu’aux territoires de l’Amazonie brésilienne. Il ne protège aucune forêt tropicale des huit autres pays que recouvre l’Amazonie. Il ne protège pas non plus les forêts ni les plaines situées en dehors du Brésil comme le Gran Chaco en Argentine et au Paraguay. Enfin, il ne protège pas des régions écologiques fragiles du Brésil qui se trouvent en dehors de l’Amazonie, comme le magnifique Cerrado brésilien.

Le Cerrado brésilien est la savane la plus riche au monde sur le plan de la biodiversité. Il fait à peu près la taille de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et l’Espagne réunies. Il abrite un vingtième des espèces de la planète. Parmi ces espèces, on dénombre le tamanoir, le tatou géant, le jaguar, le loup à crinière et des centaines d’espèces d’oiseaux — mais aussi plus de 10 000 espèces de plantes, dont près de la moitié ne se trouvent nulle part ailleurs sur Terre.

Connu sous le nom de « forêt à l’envers » en raison de ses petits arbres aux racines profondes, le Cerrado est la source de la moitié des réserves d’eau du Brésil et possède une grande capacité de stockage de carbone.

Mais au cours de la dernière décennie, près de 10 500 kilomètres carrés ont été convertis en plantations, une cadence qui a doublé par rapport aux années 199022. Aujourd’hui, une petite moitié du Cerrado est encore intacte, et seuls 3 % de sa surface sont protégés de manière permanente.

Lorsque les forêts tropicales sont abattues et brûlées, le carbone qu’elles ont stocké est immédiatement relâché dans l’atmosphère sous la forme de dioxyde de carbone. Ce phénomène est responsable d’un dixième des émissions de gaz à effet de serre23.

200 millions d’hectares de terres dégradées en Amérique latine pourraient être utilisés pour étendre les surfaces agricoles. Hormis l’inertie des entreprises, il n’y a aucune autre raison au monde de poursuivre la destruction de ces paysages inestimables24.

Pendant dix ans, les plus grands clients de Cargill, des responsables gouvernementaux et des représentants de la société civile lui ont demandé, ainsi qu’à d’autres négociants de soja, d’étendre le moratoire pour protéger ces régions fragiles, et de concentrer ses activités sur des terres déjà dégradées5.2 Cargill a refusé.

De 2005 à 2010, près de 3,6 millions d’hectares de forêts d’Amérique du Sud ont été détruits annuellement, principalement pour la culture du soja et le pâturage du bétail26.

Le Destruction du Gran Chaco

Le Gran Chaco est un écosystème de 110 millions d’hectares qui chevauche l’Argentine, la Bolivie et le Paraguay. C’est l’étendue continue la plus importante de végétation indigène d’Amérique du Sud, juste après la forêt tropicale d’Amazonie.

Les forêts du Gran Chaco hébergent des communautés autochtones dynamiques comme les Ayoreo, les Chamacoco, les Enxet, les Guarayo, les Maka'a, les Manjuy, les Mocoví, les Nandeva, les Nivakle, les Toba Qom, et les Wichi, qui dépendent de la forêt du Chaco depuis des millénaires.

Cargill est parvenue à s’introduire dans cette forteresse impénétrable qui était jadis le refuge d’espèces comme le petit tatou velu, le jaguar, et le fourmilier géant. Elle a incendié et détruit ces habitats au bulldozer pour laisser place à de vastes champs de soja OGM.

En 2018, une équipe de terrain de Mighty Earth a visité des plantations dans l’écosystème du Gran Chaco et a témoigné d’importantes destructions d’écosystèmes naturels, y compris des déforestations illégales ou sous couvert de légalité. Nous avons pisté le soja cultivé sur des forêts récemment défrichées et sommes remontés jusqu’aux ports où Cargill l’expédie aux quatre coins du monde.

Mais le plus tragique, c’est que la destruction relatée dans notre rapport est tout à fait évitable. Alors que la production de viande est en soi très gourmande en ressources, la destruction d’écosystèmes indigènes n’est pas nécessaire. L’Amérique latine possède une surface de terres déjà dégradées plus vaste que la moitié de la partie continentale des États-Unis. On peut tout à fait y cultiver du soja et élever du bétail sans menacer les écosystèmes indigènes. Des experts techniques qui ont mis au point un système efficace ayant pratiquement éliminé la déforestation associée à la production du soja en Amazonie brésilienne, estiment que l’extension de la surveillance des forêts à d’autres régions d’Amérique latine, coûterait moins d’un million de dollars par an, c’est-à-dire une infime partie des bénéfices annuels de Cargill.

Violations Des Droits a La Personne et Violence à L'Encontre Des Communautés Autochtones

De nombreuses communautés autochtones vivent dans les forêts et comptent sur ses ressources pour s’approvisionner en vivres et en eau, mais aussi y vivre et conserver leur culture. Les producteurs de soja, les éleveurs et des exploitants forestiers illégaux ont souvent eu recours à la violence pour chasser des populations indigènes de leurs terres ancestrales.

Les équipes d’enquête de Mighty Earth ont rendu visite à des communautés autochtones dont les terres natales avaient été détruites puis transformées en champs de soja détenus par des capitaux étrangers et dont les récoltes étaient exportées. Les travailleurs agricoles de ces exploitations ont confirmé vendre leurs récoltes à Cargill. Cargill dément ces allégations.

Un chef de village a décrit à notre équipe la terreur éprouvée par sa communauté lorsque les avions volant au-dessus de leurs têtes pulvérisent des pesticides sur les champs de soja, à quelques encablures seulement du village. Il a également rapporté que plusieurs enfants avaient trouvé la mort après avoir bu de l’eau dans un bidon de pesticides abandonné qu’ils avaient ramené d’un champ de soja des environs.

Une autre communauté autochtone a été victime en 2014 d’une invasion de 50 vigiles armés provenant d’une ferme avoisinante qui voulait les chasser de la région. Selon les journaux et corroborés par les témoignages recueillis par notre équipe de terrain, les vigiles armés ont défoncé les portes et envahi les maisons, agressé les adultes et les enfants, et frappé des femmes enceintes. Certaines ont perdu leur bébé. 32 membres de cette communauté ont été blessés. Trois vigiles et sept indigènes ont été la cible de balles. Un vigile a été tué.

Un chef de communauté nous a rapporté que la plantation avoisinante ne cesse de les accuser de pénétrer sur leurs propres terres ancestrales et que son peuple vit dans la terreur permanente d’un retour de ces vigiles privés. Il a ajouté que les rivières étaient tellement polluées par les pesticides que les poissons dont ils dépendent pour se nourrir étaient en train de mourir et que les possibilités de s’adonner à la chasse traditionnelle avaient pratiquement disparu.

Cargill et le Cacao

Cargill, avec Olam et Barry Callebaut, contrôle plus de la moitié du commerce mondial de cacao et de matières premières pour le chocolat27.

En 2017, des enquêtes de Mighty Earth ont permis de retracer du cacao cultivé illégalement dans des parcs nationaux. Elles sont remontées ensuite aux intermédiaires puis aux négociants qui le vendent en Europe et aux États-Unis où des sociétés internationales de confiserie le transforment ensuite en chocolat.

Le Ghana et la Côte d’Ivoire sont les deux plus grands producteurs de cacao au monde. Pour ces deux pays, le marché du cacao a été un des principaux moteurs de la destruction des forêts. Les chimpanzés et d’autres espèces sauvages ont été décimés par la conversion des forêts en plantations de cacao. En Côte d’Ivoire, il ne reste plus que 400 éléphants, alors que leur population se comptait par dizaines de milliers.

Notre enquête a démontré que pendant des années, Cargill a entraîné la destruction des forêts de ces pays, en achetant du cacao bon marché à des cultivateurs dont la pratique courante est de défricher des forêts protégées et de parcs nationaux. En Côte d’Ivoire, on a pu estimer que 40 % du cacao provenait de parcs nationaux et d’autres aires protégées.

Dans plus de 20 de ces parcs nationaux et aires protégées, 90 % du territoire, et parfois plus, ont déjà été convertis en plantations de cacao. Entre 2001 et 2014, le Ghana a perdu 7 000 kilomètres carrés de forêt, soit près de 10 % de l’ensemble de son couvert forestier, dont plus de 100 000 hectares d’aires protégées. Près d’un quart de cette déforestation est liée au secteur du chocolat28.

Cargill a acheté sciemment ce cacao sans se soucier de sa provenance. Elle l’a ensuite vendu aux principaux chocolatiers du monde, rendant des millions de consommateurs complices à leur insu de cette destruction des parcs, des forêts, des éléphants et des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest.

En 2017, Cargill a rejoint d’autres sociétés cacaoyères et les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana au sein de l’Initiative Cacao et Forêts. Ensemble, ils se sont engagés à mettre fin immédiatement à l’approvisionnement dans les parcs nationaux et les aires protégées, à restaurer les forêts, et à s’orienter vers des pratiques plus responsables. Mighty Earth a salué cette annonce comme une mesure positive qui donnait enfin de l’espoir à la faune sauvage en péril d’Afrique de l’Ouest et promettait un futur plus durable pour les pauvres cultivateurs de cacao qui fournissent Cargill.

Un an après, nous sommes retournés sur les lieux de l’enquête et nous avons découvert que dans de nombreux endroits, la déforestation s’était intensifiée depuis l’annonce de Cargill. On en vient à se demander si cet engagement n’était rien de plus qu’une de ses vaines promesses qu’elle annonce en grande pompe et qu’elle oublie l’instant d’après.

Les Ateliers de Misère en Plein Air de Cargill

On estime qu’environ 2,12 millions d’enfants ouest-africains travaillent encore dans les plantations de cacao29. Près de 96 % de ces travailleurs enfants, au Ghana comme en Côte d’Ivoire ont été impliqués dans des tâches dangereuses. Cela fait deux décennies que Cargill remet ce problème au lendemain. Son engagement actuel est peu ambitieux : réduire, et non pas éradiquer, le travail des enfants de 70 % d’ici 202030.

En juillet 2005, l’International Labor Rights Fund (ILRF) intente des poursuites contre Cargill au nom d’enfants maliens victimes de la traite du Mali vers la Côte d’Ivoire. Ces enfants ont été forcés de travailler douze à quatorze heures par jour, sans salaire. Sous-alimentés et avec un temps de sommeil limité, ils étaient régulièrement battus.

D’après l’ILRF, Cargill « a ignoré, au cours des dernières années, de nombreux avertissements documentant l’exploitation d’enfants esclaves dans des plantations de cacao. »

L’action en justice accuse Cargill d’avoir, pendant des années, acheté sciemment du cacao récolté par des enfants esclaves et alloué des fonds, des équipements et d’autres aides à ces plantations en Côte d’Ivoire.

En octobre de cette année, une formation de trois juges a rejeté les allégations de Cargill et de son coaccusé Nestlé selon lesquelles ils ne pouvaient être poursuivis pour avoir réduit des enfants en esclavage à l’extérieur du pays. La Cour a statué que l’affaire pouvait aller de l’avant, dans la mesure où ces énormes entreprises sont accusées d’avoir aidé, encouragé et profité de l’esclavage des enfants depuis leurs bureaux aux États-Unis.

Les services juridiques de l’ILRF déposeront bientôt d’autres accusations contre Cargill et d’autres sociétés pour avoir sciemment profité de l’esclavage des enfants dans les plantations de cacao31.

Cargill et L'Huile De Palme

En tant que l’un des plus grands importateurs et exportateurs d’huile de palme au monde, Cargill est une des sociétés motrices de la destruction préoccupante des forêts tropicales et des tourbières riches en carbone. L’entreprise a ainsi contribué de manière significative au réchauffement climatique, à la mort de plus de 100 000 orangs-outans, et à et la perte des terres et des moyens de subsistance des communautés autochtones.

Cargill ne cesse de se décrire comme un chef de file du secteur — mais encore et encore, partout dans le monde, l’entreprise termine à la dernière place. Il est difficile de ne pas y voir un motif récurrent.

L’entreprise a chassé des populations autochtones de leur pays natal32, et acheté de l’huile de palme à de sociétés qui ont brûlé illégalement des forêts tropicales et eu recours à l’esclavage et au travail d’enfants33, 34, 35, 36. Les dirigeants d’un de ses fournisseurs ont été condamnés à de la prison et à verser une amende pour avoir causé des incendies37. Avec d’autres incendies provoqués par les sociétés de production d’huile de palme et de bois, ils ont contribué à la brume toxique qui a tué plus de 100 000 personnes dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est38.

L’huile de palme est présente dans près de la moitié des biens de consommation : dans les bonbons, les glaces mais aussi dans les détergents et les shampooings. Les préoccupations du public au sujet de la déforestation ont poussé un grand nombre de détaillants et de fabricants à demander aux producteurs et aux négociants de réformer leurs pratiques.

En 2016, le conglomérat géant d’huile de palme basé en Malaise, IOI, a été surpris en train de dévaster des forêts tropicales protégées, de drainer et creuser des tourbières riches en carbone et d’exploiter les communautés locales et les travailleurs39, 40. En conséquence, la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO) a suspendu les certificats de durabilité d’IOI et 26 entreprises ont annulé leurs contrats dans la foulée, dont Unilever, Kellogg Company, Mars, Hershey’s, Colgate-Palmolive, Johnson & Johnson, Procter & Gamble, Yum! Brands et Nestlé41. Mais il a fallu plusieurs mois d’une pression publique croissante pour que Cargill se décide elle aussi à rompre ses liens avec IOI.

De la même façon, Cargill a suspendu ses relations commerciales avec la société productrice d’huile de palme Reforestadora de Palmas del Petén, S.A (REPSA) — mais au prix d’années de pression exercée conjointement par des organisations aux États-Unis et par des organisations de défense de l’environnement et des droits de la personne en Amérique latine.

Deux ans plus tôt, REPSA avait été à l’origine d’une contamination massive d’une des rivières les plus importantes du Guatemala. Cette contamination a entraîné une mortalité importante de poissons (plus de 150 tonnes de poissons) et ravagé plus d’une centaine de communautés dépendant de cette rivière. À la suite d’un procès intenté par un groupe de communautés locales, un Cour du Guatemala a déclaré REPSA coupable « d’écocide » et lui a ordonné de suspendre ses opérations. Après cette décision, le professeur indigène Rigoberto Lima Choc, porte-parole de la Commission, a été assassiné. Trois autres membres du groupe ont été kidnappés, et REPSA a forcé l’annulation de la décision. Après deux ans de pression sans relâche, Cargill a finalement suspendu son contrat avec REPSA42.

Pollution en Amérique de L'air et de L'eau

La production de viande a un impact environnemental plus important que la plupart des autres activités humaines.

Cargill est le deuxième transformateur de bovins en Amérique du Nord et le plus important fournisseur de bœuf haché au monde.
Nourrir et élever des animaux à viande consomme plus de terres et d’eau que les autres secteurs, et les déchets et sous-produits de ce secteur sont une des sources majeures de pollution dans le monde. Bastion de l’élevage industriel, les États-Unis concentrent un grand nombre de ces impacts.

Mais ces derniers se propagent rapidement à d’autres régions du monde.

Le secteur de la viande peut réduire un grand nombre de ses impacts de manière significative grâce à de meilleures pratiques agricoles pour l’élevage du bétail et l’approvisionnement en alimentation animale, comme la culture de couverture, une meilleure gestion des engrais, la conservation de la végétation indigène, l’amélioration de l’alimentation animale et le traitement centralisé du lisier. Les grands producteurs de viande comme Cargill qui ont consolidé leur contrôle du marché disposent d’un levier très important pour améliorer leur chaîne d’approvisionnement. Mais à ce jour, ils n’ont pas fait grand chose, ignorant les préoccupations du public et laissant se développer sans contrôle des pratiques d’élevage et d’alimentation du bétail néfastes pour l’environnement.

Et au cours des trois dernières années, 10 établissements de Cargill n’ont pas respecté la réglementation de l’EPA en matière d’émissions trimestrielles. Tout comme elle tente de tirer parti des reculs politiques en matière d’application des lois environnementales au Brésil, Cargill semble vouloir profiter des tentatives de l’administration Trump de revenir en arrière sur l’application des lois environnementales aux États-Unis.

L’évaluation de l’impact de Cargill sur l’environnement tient aussi compte des produits agricoles qu’elle achète, vend et transforme. La pollution des eaux de ruissellement associée aux cultures du maïs et du soja, dont Cargill est un des premiers producteurs et transformateurs du pays, est responsable de plus de la moitié des nitrates et d’un quart du phosphore présents dans le Golfe du Mexique, causant des zones « mortes » dues à la prolifération d’algues. Alors que Cargill a adopté des politiques visant à réduire les impacts environnementaux de ses produits agricoles à l’étranger, elle n’en a adopté aucune pour ses chaînes d’approvisionnement aux États-Unis.

Cargill est un Des Dix Premiers Pollueurs du Secteur Agroalimentaire Aux États-Unis, Pour Les Produits Chimiques Toxiques Suivants:

*Cancérigénes Connus

*Cancérigénes Connus

Cargill est un Des Dix Premiers Pollueurs Aux États-Unis, Pour Les Produits Chimiques Toxiques Suivants:

*Cancérigénes Connus

*Cancérigénes Connus

De La Négligence, Et Rien D'Inévitable

Dans une enquête qui a gagné le prix Pulitzer en 2009, le New York Times a mis en lumière des négligences et des réticences récurrentes de la part de Cargill. Celles-ci ont entraîné une contamination désastreuse de bactéries E. coli O157:H7, une souche particulièrement virulente de bactéries que l’on trouve dans les excréments d’animaux46.

Les enquêteurs du New York Times ont constaté que des steaks hachés pour hamburger produits par Cargill et contaminés par l’E. coli avaient été vendus au Sam’s Club sous l’étiquette, « American Chef’s Selection Angus Beef Patties. »

D’après le journal, ces hamburgers dont la liste d’ingrédients ne contenait que de la « viande de bœuf », « étaient en fait fabriqués avec un mélange de restes d’abattoirs et de bouillie faite de déchets broyés et mélangés dans une usine du Wisconsin. Ces ingrédients provenaient d’abattoirs du Nebraska, du Texas, d’Uruguay et d’une société du Dakota du Sud qui transforme des déchets graisseux et les traite à l’ammoniac pour tuer les bactéries47.

Utiliser plusieurs sources plutôt que des morceaux entiers de viande permet à Cargill d’économiser 25 % des coûts, mais ces ingrédients de qualité inférieure sont issus de bas-morceaux davantage susceptibles d’entrer en contact avec des excréments porteurs d’E. coli.

Le New York Times a découvert que dans les semaines suivant la contamination de 2007, les inspecteurs fédéraux ont constaté à plusieurs reprises que Cargill enfreignait ses propres procédures de sécurité pour la manipulation du bœuf haché48.

Les Pousse-Au-Crime

L’entreprise hollandaise Ahold Delhaize gère 6 500 magasins sous 21 enseignes locales dans 11 pays différents. La construction d’un établissement de près de 2 hectares doit bientôt débuter. Opéré par Cargill à North Kingstown dans le Rhode Island, il fournira de la viande de bœuf, du porc haché et d’autres viandes préparées aux magasins Stop & Shop d’Ahold Delhaize51.

Photo: Retail Business Services LLC

Photo: Retail Business Services LLC

Ahold est très impliquée en faveur de politiques alimentaires responsables. Avec d’autres entreprises, elle est signataire de la Déclaration de New York sur les forêts qui appelle toutes les entreprises à mettre fin à la déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement d’ici 2020. Elle fait partie du « Protein Challenge 2040 » une coalition de détaillants internationaux, d’industries agroalimentaires et d’ONG qui ont pour objectif de s’orienter vers une production et une consommation durables de protéines53.

Elle a été l’un des premiers signataires de la Déclaration de soutien au Manifeste du Cerrado de 2018, un document qui demande à Cargill et à d’autres entreprises de cesser la destruction de ce point chaud de la biodiversité. Elle s’est aussi fixé pour objectif d’ici 2020, de certifier l’ensemble du soja sud-américain présent dans la chaîne d’approvisionnement des produits carnés distribués sous sa marque. Par ailleurs, Ahold a déclaré vouloir aligner ses normes sur les droits de la personne avec celles du Pacte mondial des Nations Unies. Enfin, elle soutient les résolutions du Consumer Good’s Forum s’opposant au travail forcé54.

Au cours de ses nombreuses réunions et conversations avec Mighty Earth, le personnel d’Ahold Delhaize a reconnu les problèmes posés par la viande Cargill et par l’alimentation animale, et s’est engagé à plusieurs reprises à prendre des mesures. Pourtant, malgré toute cette rhétorique et leur connaissance approfondie des crimes environnementaux et sociaux de Cargill, Ahold Delhaize a annoncé en mai 2018 que plutôt que de quitter Cargill, elle allait s’en rapprocher davantage.

Ensemble, ils ont annoncé une importante joint-venture pour une nouvelle usine de conditionnement de près de 2 hectares : Infinity Meat Solutions. Cette usine fournira de la viande de bœuf, du bœuf haché, du porc et d’autres « viandes préparées créatives pour des solutions-repas » aux magasins Stop & Shop d’Ahold Delhaize. 55, 56, 57

En totale contradiction avec ses affirmations, Ahold Delhaize récompense Cargill avec une nouvelle et considérable opportunité de marché, rendant les clients de Stop & Shop, complices des crimes de Cargill, à leur insu et inutilement.

Les Complices de Cargill

Bien qu’il soit difficile de l’affirmer avec certitude, car Cargill est une entreprise privée aux pratiques secrètes, McDonald’s est probablement un de ses clients les plus importants. Les restaurants McDonald’s font principalement office de vitrines pour les produits Cargill. Cargill ne fait pas que fournir McDonald’s en poulet et en bœuf, l’entreprise prépare et congèle les burgers et les McNuggets que McDonald’s réchauffe avant de servir49,50.

En vendant de la viande provenant de bétail nourri au soja Cargill, le géant du fast-food Burger King a obtenu un score de zéro dans le récent classement réalisé par l’Union of Concerned Scientists. Burger King a demandé à Cargill d’éliminer la déforestation de sa chaîne d’approvisionnement d’ici... 2030.

Avec 55 milliards de dollars de revenus annuels, Sysco Inc est le plus grand distributeur mondial de produits alimentaires pour les restaurants, les centres hospitaliers, les universités et les hôtels. Si la société affirme vouloir « protéger la planète en faisant progresser les pratiques agricoles durables, en réduisant son empreinte carbone et en recyclant davantage de déchets, pour protéger et préserver l’environnement des générations futures », elle a pourtant loué Cargill comme son fournisseur le plus précieux de viande de porc et de bœuf52.

Louis Dreyfus et Wilmar, les concurrents de Cargill, ont montré au monde entier qu’une autre voie était possible58. L’entreprise Louis Dreyfus est un des quatre principaux négociants de soja cultivé en Amérique latine. Louis Dreyfus a, lui, reconnu l’urgente nécessité de protéger les écosystèmes et les communautés indigènes. Dans sa nouvelle politique, la société a annoncé qu’elle n’achèterait plus de soja aux producteurs qui détruisent les écosystèmes indigènes ou accaparent les terres des communautés autochtones. Étant donné la grande disponibilité de terres déjà dégradées, Louis Dreyfus a reconnu qu’il pouvait continuer à se développer sans détruire davantage de paysages59. Pendant ce temps-là, Cargill n’a cessé de faire tourner les bulldozers. Louis Dreyfus et sa politique présente un moyen simple pour des entreprises comme Ahold Delhaize et d’autres clients de Cargill d’éviter de se rendre complices des crimes de Cargill. Il existe aujourd’hui un fournisseur de taille, aux objectifs clairs et engagé à fournir un soja vraiment responsable. Ils peuvent donc orienter leurs chaînes d’approvisionnement vers Louis Dreyfus.

Conclusion

L'année 2018 a été riche en nouvelles troublantes. Les Nations Unies et le gouvernement américain ont fait état de présage de mauvais augure pour le climat de la planète et ses habitants.

Tout d'abord, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a déclaré qu’il fallait des « transitions rapides et de grande envergure dans les secteurs de l'énergie, de la terre, des infrastructures urbaines (y compris les transports et les bâtiments) et les systèmes industriels » afin d'éviter les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique planétaire. Quelques semaines plus tard, la quatrième évaluation nationale du climat menée par le gouvernement américain en novembre 2018 a déclaré que « sans des efforts substantiels et soutenus d’atténuation régionale et mondiale, le changement climatique devrait causer des pertes croissantes d'infrastructures Américaines et de ses biens en entravant le taux de sa croissance économique au cours de ce siècle. »

Nous avons encore le choix quant à l'avenir que nous voulons, mais nous sommes peut-être la dernière génération à le pouvoir. Un monde meilleur est possible, mais seulement avec une action immédiate et substantielle.

Bien que les médias et les rapports divers se concentrent principalement sur le rôle du gouvernement, la plupart du temps se ne sont pas les gouvernements qui polluent ou déboisent, mais les entreprises industrielles et multinationales comme Cargill.

Que les gouvernements fassent ou non leur travail ne signifie pas que le travail ne peut pas être fait. Certains des plus grands succès mondiaux en matière d’environnement ont été réalisés par des entreprises agissant soit par leur sens des responsabilités, incités par leurs clients ou des investisseurs, ou soit par la société en général. Cargill elle-même et d'autres négociants de soja ont démontré ce phénomène en protégeant une partie de l'Amazone parce que leurs clients exigeaient qu'ils le fassent.

Mais Cargill refuse d’étendre ces protections à d’autres environnements, allant même jusqu’à annoncer publiquement son opposition à un moratoire sur la destruction du Cerrado, région précieuse et menacée du Brésil, cependant soutenu par plus de 70 entreprises de Biens de consommation. Ce refus est un affront porté envers Ahold Delhaize, McDonald’s et d'autres qui ont rappelé à plusieurs reprises à Cargill de s’inspirer du succès extraordinaire de l’Amazon Soy Moratorium. Cependant, si ces entreprises sont sérieuses au sujet de leurs propres engagements sur la protection de l’environnement, elles doivent aller au-delà des demandes polies et transférer leurs achats à des fournisseurs plus responsables.

À Propos de Mighty Earth

Migthy Earth est une organisation internationale de campagne qui s’attache à la protection des paysages, des océans et du climat. Nous aspirons à être l’organisation environnementale la plus efficace au monde. Nos campagnes et nos équipes ont joué un rôle de premier plan pour convaincre les plus grandes entreprises agroalimentaires du monde à adopter des politiques visant à éliminer la déforestation et les violations des droits de la personne de leur chaîne d’approvisionnement. Elles ont également incité le transfert de plusieurs milliards de dollars vers les énergies propres. Qu’elle se mobilise pour des changements à l’échelle internationale ou locale, Mighty Earth insuffle un mouvement pour protéger notre environnement. Organisation à but non lucratif 501 (c) 3, Mighty est un projet parrainé sur le plan financier par le Center for International Policy.

Foto: Jim Wickens, Ecostorm

Foto: Jim Wickens, Ecostorm